Passionnée par les mondes de la musique et du cinéma, Sylvie Traisnel a voulu parler de ceux et celles qui ont marqué sa vie de leurs empreintes. Elle est l’initiatrice d’un cycle de projections de documentaires musicaux au Cinéma Aventure, qui a vu le jour il y a un peu plus d’un an. Rencontre.
Parle-nous un peu de toi, de ton parcours. Qu’est-ce qui t’a amenée à lancer EmpreinteS ?
Cela fait des années que j’organise des événements socio-culturels, mais pour les autres. Puis à côté de ça, je suis surtout une grande cinéphile et mélomane. Un jour, j’ai eu envie de mettre en place mes propres projets et ces deux thématiques (la musique et le cinéma) naturellement présentes dans ma vie se sont vite imposées. Je suis quelqu’un de curieux, quand un artiste me touche, je suis du genre à me documenter sur sa filmographie ou sa discographie, sa vie, les collaborations qui ont marqué sa carrière, etc. J’aime être touchée par les gens et le partager. Cela faisait longtemps que j’avais envie de parler de quelqu’un en particulier : Daniel Johnston. Je savais qu’un documentaire était sorti en 2005 (trop peu connu, je trouve) et qu’un livre avait été publié en 2017. Ça m’a donné l’impulsion. Je me suis dit, pourquoi ne pas programmer ce documentaire quelque part et faire venir l’auteur du livre ? Et c’est ce que j’ai fait. Alors que ça devait être un one shot, en septembre 2017, j’ai appris la mort du chanteur Charles Bradley, à qui était également consacré un documentaire. En en discutant avec le Cinéma Aventure, l’envie de projeter ce film a germé. Et je me suis finalement retrouvée avec ce qui ressemblait à un début de programmation. D’où l’idée de transformer ce one shot en un rendez-vous régulier. Depuis octobre 2017, je propose un documentaire musical par mois au Cinéma Aventure.
Qu’est-ce qui a fait que ton choix s’est porté sur ce cinéma en particulier ?
J’avais déjà collaboré avec eux dans le cadre d’un de mes projets. C’est un petit cinéma d’art et d’essai, facile d’accès, chaleureux et à taille humaine : la plus grande salle peut accueillir 105 personnes max. Je pense qu’ils aiment ouvrir leur cinéma à des personnes avec qui le contact passe bien et qui ont des projet intéressants. Je crois que mon idée de proposer un cycle sur la musique les a séduits. Puis, l’Aventure est intéressé par le côté alternatif de la programmation. J’avais aussi le sentiment que ce genre d’initiative manquait à Bruxelles. Il y a bien l’un ou l’autre ciné-club mais il n’y avait pas, à ma connaissance, encore de projections régulières sur cette thématique.
Concrètement, comment votre partenariat fonctionne-t-il ?
Je fais un gros travail de recherche auprès des distributeurs. Je les contacte et négocie les droits avec eux pour ne pas dépasser un certain plafond. On ne pourrait en effet pas se permettre de payer des milliers d’euros par projection. C’est d’ailleurs un aspect qui m’intéresse dans la production cinématographique. Ce qui me fait rire et m’interpelle à la fois, c’est que parfois personne ne sait qui est l’ayant droit et donc à qui nous devons payer les droits… J’apprends comment fonctionne le système en même temps que je prends les contacts. De temps en temps, je dois renoncer à programmer un documentaire parce qu’il est bien trop cher. Mon but est surtout de garder le côté humain du projet. Quand on demande des droits de diffusion faramineux, pour moi, on est beaucoup moins dans l’appréciation de l’art. Et je ne veux en aucun cas m’éloigner de ma ligne de conduite. Une fois la négociation terminée, le Cinéma Aventure s’occupe de la partie administrative et financière.
Et pourquoi EmpreinteS ?
On laisse tous une empreinte quelque part, peu importe le domaine dans lequel on évolue. J’ai eu envie de parler de ceux qui ont marqué ma vie. Une fois le projet sur les rails, ce nom m’est venu naturellement.
Est-ce que les films que tu programmes respectent des critères particuliers ?
Je fonctionne au coup de coeur, donc mon seul critère c’est que ce soit un documentaire musical ou un artiste que j’ai aimé, qui m’a touché. Enfin, ça c’était en 2018. En 2019, j’ai envie de sortir de ma zone de confort en programmant des documentaires que je n’ai pas forcément aimés mais qui correspondent à l’univers du projet et aux souhaits du public. J’ai aussi envie d’organiser d’autres types de rendez-vous. Avec un ami, on programme Do It Together, le 7 mars au RockLab à Ixelles, un docu qui tente de répondre à la question : qu’est-ce qu’être un artiste de musique indé aujourd’hui ? Autour de cette projection, on souhaite faire intervenir des personnes aux profils et projets différents. Le but n’est pas de mettre en place un workshop pro comme certains le font déjà mais de simplement discuter, échanger de manière franche et honnête sur comment chacun de ces acteurs vit son parcours dans le monde de la musique indépendante. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qui les pousse à continuer ou à abandonner, et qu’on puisse en parler sur base du film. Puis en avril, le Kinograph, un cinéma éphémère, ouvrira ses portes dans les anciennes casernes d’Ixelles. Vu la taille du lieu, je réfléchis avec les copains en charge de ce cinéma à mettre en place d’autres rendez-vous et des événements liant toujours musique et cinéma. Par exemple, en programmant d’autres choses ou en invitant un groupe pour une prestation live en plus de la projection. Mais tout reste à construire. Et puis, en 2020, j’aimerais vraiment pouvoir organiser un festival, enfin festival c’est un grand mot, mais plutôt un rendez-vous sur un week-end. Un événement qui me sortirait de ma projection mensuelle à l’Aventure, que je tiens à garder malgré tout. J’ai aussi le projet d’organiser une expo sur Daniel Johnston à Bruxelles, mais ça ce sera plutôt pour fin 2020.
Est-ce qu’il y a selon toi un artiste dont la vie et la carrière n’ont pas encore, à ta connaissance, fait l’objet d’un documentaire et qui mériterait que les réalisateurs s’y intéressent ?
Un documentaire vraiment construit sur les Beastie Boys. Un film qui reviendrait sur leur histoire, sur l’époque, du punk au hip-hop, sur où ils en sont aujourd’hui et comment ils avancent depuis la mort d’MCA. Après, j’attends avec impatience la sortie (qui tarde) de The Viking of the 6th Avenue, qui retrace la vie de Moondog, un musicien aveugle atypique. Un véritable génie ! La réalisation du documentaire a été financée par un crowfunding et la manière dont la réalisatrice, Holly Elson, parle de ce film m’enthousiasme très fort.
Le fait que tu programmes des documentaires musicaux traduit un certain intérêt de ta part pour la musique. T’écoutes quoi en ce moment ?
Je regarde mon Spotify et on dirait qu’en 2018 j’ai pas mal écouté Idles. J’aime aussi beaucoup Beak> (d’ailleurs, je vais les voir à l’Aéronef à Lille le 8 février), Brian Eno, Ella Fitzgerald, David Bowie et puis, Sleaford Mods, sur qui je programme le documentaire Bunch of Kunst, le 14 janvier, au Cinéma Aventure. Quand je programme un docu, je me plonge complètement dans l’univers du groupe ou de l’artiste concerné. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est qu’on se rend compte que celui qui parle beaucoup n’est pas forcément celui qu’on pense. Et puis, un autre aspect intéressant c’est le lien entre un artiste et une ville. Avec Sleaford Mods, on découvre Nottingham, son accent, ses tronches, son environnement. On voyage vraiment avec eux. J’aime moins les docus face cam’. Moi ce qui me plaît, c’est tout ce qu’il y a autour.
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